Les déserts numériques en France : Une inévitable fatalité ?
Il y a 10 ans, le président Nicolas Sarkozy annonçait fièrement le Plan France Haut Débit (PTHD) à 20 milliards d'euros qui devait démocratiser l'accès à Internet sur tout le territoire. On prévoyait la généralisation du très haut débit sur tout le territoire d'ici 2022. Entre 2013 et 2018, on est passé de 27% à 55% du territoire couvert. Mais, un premier bilan montre une grande frilosité de l'Etat pour couvrir les 45% restants, notamment les espaces ruraux de la République. Voici un premier bilan critique.
Sommaire
Une inégalité d'accès
Tout le monde connaît les termes "internet des villes, internet des champs" , "zone blanche" ou "désert numérique". La plupart des hommes politiques semblent d'ailleurs s'être réappropriés ce vocabulaire sans pour autant en comprendre sa véritable signification. Dans les faits, cette terminologie renvoie à un problème majeur : il existe en France des espaces géographiques où la connexion aux réseaux de téléphonie est limitée ou inexistante, et l'accès à internet très difficile. Aujourd'hui, dans notre pays, on trouve même des centaines de territoires de la république qui ne disposent pas de réseau mobile et qui payent des forfaits haut débit, et y envoyer un email relève alors de l'exploit herculien.
Ce n'est pas surprenant que les professionnels du secteur (opérateurs Internet et de téléphonie mobile) concentrent leurs activités dans les grandes villes et les zones urbaines. Privilégiant leur profit même si le PTHD prévoyait de larges subvensions publiques, ceux-ci ont laissé de côté la question de l'accessibilité pour tous. La France se classe à ce titre au 16ème rang pour l'accès au numérique. au niveau de l'Union Européenne. Pourtant les déclarations d'intention ne manquent pas comme celle du président Macron qui déclarait lorsqu'il était encore candidat que : "l'accès à Internet et à la téléphone mobile, ce n'est pas un luxe mais un droit".
Une inégalité républicaine
Le constat est simple. Alors que des centaines de petites communes se battent, sous l'égide de leurs administrés, pour avoir un meilleur accès au numérique (on rappelle que vous payez quant même une Box même si votre connexion est très mauvaise) et sortir enfin des "zones blanches", l'Etat leur a fait un cadeau empoisonné en créant de plus grandes régions. Les municipalités doivent désormais faire face à des processus administratifs encore plus ubuesques et titanesques, auprès de leur région de référence, dès lors qu'elles veulent soumettre un dossier concernant la téléphonie mobile et internet. C'est tout à fait paradoxal dans le sens où la réforme territoriale (13 régions administratives) devait justement accompagner le PTDH. Finalement, on se retrouve avec une accentuation des inégalités dans l'accès au numérique, alors même que les décideurs promettent une couverture 4G pour tous d'ici la fin de l'année.
Qu'est-ce qui se cache derrière cette inégalité ? Laissons de côté ceux qui croient de manière erronée qu'il s'agit d'un besoin superficiel pour les habitants du monde rural qui désirent eux-aussi utiliser les réseaux sociaux ou Netflix. Il s'agit en réalité d'un problème d'attractivité des territoires, car un bon accès au net permettrait de créer de meilleures conditions pour un développement économique à l'échelle de toutes les régions. Il ne s'agit donc pas uniquement de donner accès aux habitants à une connexion décente.
Certains diront que cette problématique ne concerne pas le monde agricole, mais c'est totalement faux. Indépendamment de la question de l'utilisation des nouvelles technologies dans l'agriculture, le numérique pour tous est un droit pour tous les citoyens (on parle de droits car les opérateurs ont reçu et reçoivent des subventions publiques) qui accompagne leur liberté de s'installer ou de vivre dans les territoires de la ruralité dans les mêmes conditions de vie que les urbains. Sans cette accessibilité et les emplois qui peuvent y être associés, on perpétue dès lors le déclin constant du monde rural et un phénomène de concentration des populations autour des grandes villes.
La France des oubliés du numérique
Je vous invite à regarder de plus près les cartes proposées par les sites ariase et amenagement-numérique.gouv.fr. On retrouve sans surprise une France coupée en deux avec un schéma qui se décline de départements en départements. Bien évidemment, ces sites véhiculent l'arsenal des beaux mots de la communication politique puisque l'on utilise à présent le terme "New Deal pour le numérique". Je rappelle qu'en France dès lors qu'il y a un problème on ressort ce bon vieux terme (le mot Grenelle joue aussi la même fonction) fourre-tout que l'on décline selon besoin : "New Deal du numérique", "New Deal des banlieues", "New Deal du Développement durable", etc.
Les cartes et l'évolution des plans numériques successifs depuis 2010 montrent que les inégalités d'accès à Internet ainsi qu'à la téléphonie mobile s'inscrivent dans un problème plus général touchant les territoires de la ruralité. Cette inégalité renvoie en effet aux mêmes problématiques auxquels sont confrontées des habitants qui souffrent également d'un problème d'accès aux services publics. Poser la question de davantage de connectivité en milieu rural peut à ce titre sembler dérisoire, y compris un véritable non-sens puisque à quoi sert-il d'avoir un meilleur Internet si on ne peut pas accéder à proximité à un centre de soins ou s'il n'y a plus aucun commerce à 20 km à la ronde. Les habitants qui réclament plus de justice numérique sont d'ailleurs les citoyens qui combattent les fermetures des bureaux de poste, des centres médicaux ou des écoles. La question de l'inégalité des territoires est de ce fait très enracinée, tout comme sa contestation par la population. Nous savons tous que beaucoup de colère s'est exprimée l'année dernière et qu'elle continuera à le faire si rien ne change.
Parmi les critiques contre les défenseurs d'un Internet pour tous, on trouve aussi ces fausses idées que de nombreux néo-ruraux fuient les ondes des zones urbaines, voire que les campagnes sont peuplés de réfractaires du numérique. Mise à part le cynisme et les généralisations sans fondements portés par ces jugements de valeur, ces commentaires cachent un aveuglement bien réel. Un aveuglement devant une situation rendue illisible par les nombreuses personnes qui ne veulent pas faire pression devant les responsables des déserts numériques : en premier lieu, l'Etat et ensuite, les opérateurs de téléphonie mobile. D'ailleurs, cela ne sert à rien de parler de 5G au regard d'une situation aussi inégalitaire qu'explosive. Une solution semble néanmoins possible : donner les moyens, les responsabilités et les clés aux acteurs locaux. Les communautés de communes rurales devraient pouvoir négocier elles-mêmes des partenariats avec les fournisseurs d'accès. Elles devraient être plus autonomes car l'expérience montre que les dossiers de subvensions sont reportés aux calendes grecques.
Cela pourrait porter à sourire qu'un article dénonçant le manque d'accès au numérique en France puisse être publié dans un média Tech. On pourrait même penser que nos articles sur les nouveaux smartphones ou les nouvelles technologies sont bien éloignés des préoccupations des habitants des déserts numériques. Mais il ne s'agit pas de cela. L'inégalité des Français devant le numérique est une question de justice. Les habitants de ces régions devraient avoir le choix d'utiliser, ou non, internet ou les réseaux de téléphonie mobile dans les meilleures conditions possibles. Si les opérateurs mobiles reçoivent des subventions et l'Etat s'y est engagé depuis 10 ans, ils doivent le faire. C'est une question d'égalité.
Face à ce sujet sensible, nous sommes comme à notre habitude très curieux de pouvoir lire vos commentaires. Laissez-nous votre commentaire ci-dessous.
Sarkozy annonçait fièrement un plan à 20 milliards d'euros, s'en fout, c'est pas son pognon.
Frilosité de l'état pour les 45 % restants. Pourquoi, les 20 milliards sont déjà dépensés ?
Les opérateurs touchent des subventions, mais où est l'argent puisqu'ils ne font rien ?
Que du classique !
On n'est pas à un paradoxe près. D'un côté on recommande vivement les démarches administratives par internet, limite obligatoire car pas d'autres moyens dans certains cas et de l'autre, on ne veut pas équiper les zones blanches. Ils n'ont pas mal à la tête à force de marcher dessus ?
La surdité et la bêtise les sauvent !
Enfin, bon, tout dépend ce qu'ion entend par zone blanche, quand on voit des zones avec 3 habitants au km carré, c'est pas étonnant que ces zones soient " blanches " vu les investissement nécessaires.... quand on ne supporte pas la densité de population des villes (et ses inconvénients) et qu'on veut s'isoler dans un coin perdu pour être tranquille, il faut accepter qu'il y ait des inconvénients, on ne peut pas tout avoir...
N'oublie ceux qui y sont nés et qui y vivent... j'en fait partie.
De plus, les vacanciers des villes aimeraient bien avoir du réseau "correct" quand ils viennent "se ressourcer à la campagne".
Pardon, mais je supporte très bien la tranquillité et la discrétion 😎
et le désert intélectuel on en parle, le manque d'écoles, de bibliothèques et autres..... La couverture gsm c'est important, mais il y a plus important je crois
Comme un service public non virtuel ?
Comme un vrai service public, avec de vrais gens
Qui n'existe plus quand tant de démarches se font en ligne et quand on n'arrive même pas à envoyer un e-mail
pas faux, mais ne sommes nous pas tous un epu beaucoup responsable de cela ? nous préférons ouvrir notre tel et utiliser notre appli que de se lever du divan pour aller dans une agence. Nous sommes je crois les premiers fautifs de la dématérialisation des services et les jeunes d'avantages ce qui est normal en soit. Un bel exemple est que l'on paie les services bancaires alors que nous faisons nous même le travail comme les virements, les extraits de compte, la gestion de notre compte toutcela se paie à la banque mais nous réalisons les actions nous même.
@ philippe allard
Le manque d'infrastructures "en région" (pour singer le vocabulaire institutionnel de la capitale) date de l'abandon de la politique d'aménagement du territoire. Grosso modo les années 80 qui a marqué le début des crises économiques à répétition que l'on vit aujourd'hui.
Mais le mépris "de la province" existe depuis le pouvoir royal centralisateur, une tradition millénaire en somme... et la République n'y a rien changé (malheureusement)
Même les trop timides tentatives de décentralisation (d'où qu'elles viennent) n'ont jamais portés les fruits espérés...
L'état fait un choix. C'est comme pour les routes, les autoroutes, les ponts... On investit dans un réseau et pas au gré des desiderata des communautés.
Sinon, on avance pas, des projets qui se servent ou se serviront des infrastructures ne fonctionneront pas.
On ne voit que ce qui est en France. Mais dans beaucoup de pays, faire la route est absolument indispensable alors que la population réclame l'argent pour vivre d'abord, sans se soucier du développement du pays.
Pour le mobile, et bien que j'ai dit le contraire plus tôt, ce n'est pas parce qu'un territoire est un désert et une une zone de développement non rentable qu'il faut la laisser à l'abandon. C'est juste moins prioritaire.
On va pas non plus planter une antenne là où y a qu'un péquin à la ronde, non?
Tiens, il paraît qu'Orange, qui a le meilleur réseau de France, éteint des fréquences par endroit pour économiser l'énergie. ça va pas faire l'affaire des gens qui naviguent au GPS sur nos routes de campagne, ça !
Je vous rappelle que la volonté, en matière d'écologie, c'est de rassembler les gens dans les villes. Du coup pourquoi investir dans les campagnes, les zones blanches?En plus vous éviterez de dégrader la couche d'ozone en utilisant votre voiture, vous pourrez faire du vélo! Politique de Cons! Pour certains nantis qui vivent à la ville, rien à faire des pauvres repoussés à la campagne! En plus pourquoi avoir Netflix si l'on ne peut même pas se payer un abonnement, puisque le mois est fini le 10 !
C'est d'autant plus cruel, quand les services publics se dématérialisent, c'est à se demander si la nation n'appartient plus qu'aux citoyens connectés et si ce n'est pas encore le cas , c'est bien l'impression qu'elle donne.
Les premiers de cordée en somme !