Pourquoi le financement participatif peut être un gros problème pour la tech
Autrefois, si vous imaginiez une invention sympa, ou si vous aviez une idée pour un appareil hi-tech, vous construisiez un prototype avant d’essayer d’attirer des investisseurs pour finaliser le produit. Une fois votre idée concrétisée, vous vendiez le produit aux consommateurs. Aujourd’hui, grâce aux plateformes de financement participatif si populaires, les startups hi-tech mais aussi les compagnies de longue date peuvent vendre leurs produits avant même de les avoir développés.
Cela fait un moment que j’ai envie d’écrire un article sur le financement participatif, et à chaque fois que je me lance, je change d’avis sur le sujet. Des plateformes telles que Kickstarter et Indiegogo peuvent se révéler très utiles pour concrétiser des choses qui n’auraient jamais existé auparavant ; je n’ai acheté qu’une seule chose sur Indiegogo et c’était un livre, un mémoire écrit par un artiste que j’aimais bien. Près d’un an plus tard je recevais le livre, et cette expérience en matière de financement participatif m’avait satisfait. On m’avait promis un mémoire d’une longueur indéterminée, et c’est ce que j’ai reçu. Mais cela ne fonctionne pas toujours aussi bien.
Ce livre, c’est exactement le genre de chose pour laquelle le financement participatif est fait. Evidemment, l’auteur aurait pu aller voir un éditeur pour demander une avance, mais je pense bien que s’il ne l’a pas fait, c’est que cela lui était impossible. Ce livre n’aurait jamais pu être écrit sans une plateforme de financement participatif doté d’une audience prête à payer le produit avant même sa création. Car c’est bien cela que l’on fait lorsque l’on effectue un paiement sur Kickstarter ou sur Indiegogo ; on achète une promesse, une idée, sans aucune garantie que la chose se concrétisera ; et c’est ce qui pose problème lorsqu’il s’agit de technologie.
Bonne volonté et promesses brisées
Les campagnes de financement participatif existent sous diverses formes et diverses ampleurs, mais dans le monde de la technologie, on nous présente souvent des vidéos alléchantes accompagnées de grandes prétentions d’innovations futures. Cela fait partie du processus. Startups et inventeurs ont besoin de séduire autant d’investisseurs que possible, alors ils nous sortent le grand jeu. Le problème est que, pour les consommateurs, la plupart des plateformes exigent simplement de ces compagnies qu’elles manifestent la bonne volonté de tenir leurs promesses. Lorsque l’on donne son argent, on fait pour ainsi dire un acte de foi. Que le projet finisse édulcoré ou qu’il ne voie jamais le jour n’a aucune importance, du moment que la compagnie a essayé, en toute bonne foi, de tenir ses promesses.
Kickstarter et Indiegogo sont remplis de produits hi-tech avortés. Quelqu’un se souvient du iBackPack ? Ce projet a soulevé plus de 720 000 dollars en 2015 en promettant un sac à dos urbain capable de charger votre iPhone et de se transformer en point d’accès wifi. Quatre ans plus tard, il n’est toujours pas sorti et l’équipe responsable du projet s’est volatilisée. Je pourrais vous raconter un millier d’histoires similaires à celle-ci. Mais il y existe aussi de belles réussites. L’Oculus VR a tout d’abord été financé via Kickstarter avant d’être acheté par Facebook en mars 2014 pour 2,3 milliards de dollars.
Même si le produit que vous avez financé finit par bel et bien voir le jour, vous n’avez aucune idée de la date où vous le recevrez. Les retards sont fréquents dans le développement d’une technologie, et plus encore au sein du financement participatif. Ces campagnes s’étendent sur des années, et sans aucun contrôle sur le flux d’argent qui entre (ou n’entre pas), le développement n’est jamais un voyage paisible d’un point A vers un point B. L’échec de certains objectifs de financement peut mener à une pénurie de fonds pour terminer le produit, tandis qu’un succès inattendu engendre un surplus d’argent. Pourtant, les startups sont souvent incapables de s’adapter à un flux important de commandes, et elles ont du mal à honorer la production attendue.
En vérité, financer un produit sur Kickstarter ou Indiegogo est un pari dangereux. Il existe toujours un risque, lors du développement d’une nouvelle technologie ; la différence est qu’aujourd’hui ce risque est pris par le consommateur, et plus par la compagnie qui va faire du profit si les choses tournent bien. J’ai du mal avec cela, surtout quand on voit des marques établies utiliser le financement participatif pour éviter tout risque.
Le Light Phone 2 comme cas d’école
Un cas d’école intéressant sur lequel se pencher à ce sujet est le Light Phone, et son successeur le Light Phone 2. Ce smartphone en papier électronique a été conçu afin d’encourager les gens à moins utiliser leurs téléphones. C’est un appareil dépouillé et minimaliste pour ceux qui veulent échapper aux griffes de l’addiction aux smartphones. Sorti pour la première fois en 2017, le Light Phone original a connu un succès modeste. Ses créateurs Joe Hollier et Kai Tang avaient atteint le double de leur objectif de financement participatif de 200 000 dollars, et ont fini par expédier 15 000 Light Phones.
Le problème, après avoir construit un smartphone qui est censé être utilisé le moins possible, c’est que les gens ont fini par ne plus l’utiliser du tout. L’appareil ne pouvait même pas envoyer de SMS et coûtait 150 dollars. Il s’avéra que le Light Phone, finalement, était trop « light ». Ainsi donc, en janvier 2018, le Light Phone 2 est né.
L’idée était d’agrémenter un peu le Light Phone 2 par rapport à la première version, sans le rendre aussi chargé qu’un smartphone. Il y aurait la possibilité de sauvegarder des numéros (chose impossible avec le premier Light Phone), un capteur de proximité, une prise jack et des boutons physiques. Il y aurait également un lecteur de musique et Maps pour la navigation. Il y a même eu la rumeur d’une version simplifiée d’applis d’auto-partage. Sur Indiegogo, le projet a soulevé plus de 3,5 millions de dollars.
Le développement du Light Phone 2 a pris du retard en janvier 2019, et l’appareil n’était toujours pas prêt en juillet. Il n’est toujours disponible qu’en précommande, avec une expédition prévue pour le 15 mars 2020. Lorsqu’il sortira, vous pourrez passer des appels, envoyer des messages et programmer une alarme ; c’est tout ! Ho, et il coûte 350 dollars.
« Le financement participatif vous fait vendre du rêve, » a déclaré Hollier sur The Vergeen début d’année. « Et lorsque vous commencez à construire ce rêve, il vous faut revenir un peu sur vos pas pour le concrétiser. »
Et c’est le gros problème que j’ai quant à ce modèle commercial. Ceux qui ont financé le Light Phone 2 ont attendu plus d’un an, et même s’ils finissent par obtenir leur téléphone à 350 dollars, ils attendront encore plus longtemps pour des fonctionnalités et des applis qui étaient promises pour janvier 2018. Et si elles ne voient jamais le jour, tant pis pour eux.
En tant que consommateurs, il n’y a aucune raison que nous prenions de tels risques pour que de nouveaux produits soient mis sur le marché. Vous allez me trouver vieux jeu, mais je pense que les choses devraient se passer dans le sens inverse. Les grandes entreprises prennent les risques, et si le projet est couronné de succès, elles engrangent les bénéfices au moment où tout le monde se jette sur le produit fini. Payer pour des promesses est une escroquerie, dans l’industrie hi-tech.
Les plateformes de financement participatif peuvent être bénéfiques pour de petits projets créés par des passionnés, ou pour permettre à des communautés de fans d’amener des fonds pour aider un artiste ou un inventeur à créer quelque chose qui n’aurait jamais vu le jour autrement, mais je suis las de voir des startups florissantes utiliser Kickstarter et Indiegogo pour nous vendre de la poudre de perlimpinpin.
Ce qui personnellement me choque c'est quand les GAFAM (ou autres très grandes entreprises) utilisent ces plateformes. Dommage que l'article n'aborde pas ce thème.
Benoît revient 😉
C'est une affirmation ou un vœu pieux?
Un vieux pieux 🤣
Mais arrête, tu as encore de belles années devant toi, d'autant plus si tu pratiques la randonnée ;)
Sans vouloir dénigrer l'article, il aurait été assez judicieux de rappeler qu'aujourd'hui les plus grosses plateformes de financement participatif appartiennent en sous-main à de grosses structures banquaires.
Alors qu'elles évitent de prendre des risques financiers à la place des acheteurs qui soutiennent les projets (quel que soient leurs intérêts respectifs) qui manquent de financement est très loin de m'étonner... malheureusement !