Arrêtez d'être obsédés par la fiche technique de votre smartphone, vous vous faites avoir!
Arrêtez d'être obsédés des specs de votre smartphone, c'est un ordre! Plus sérieusement, le sacro-saint rapport qualité prix d'un smartphone est une vision de la tech que je trouve de plus en plus toxique. Votre téléphone n'a pas le dernier SoC Snapdragon ni cinq capteurs photo de 200 mégapixels chacun? Et alors? On s'en fout totalement!
Sur le salon de l'IFA 2023 à Berlin, j'ai pu m'entretenir avec Miquel Ballester, chef de produit chez Fairphone. Je suis aussi en train de tester le Fairphone 5, vous savez le smartphone équitable et éco-responsable qui vient de sortir.
Et l'une des critiques qui revient régulièrement à l'encontre de Fairphone, c'est que ses smartphones sont trop chers pour ce qu'ils sont. Le Fairphone 5 est vendu 699 euros. Sur cette gamme de prix, des modèles comme le Nothing Phone (2) (test), le Google Pixel 7 (test) ou le Xiaomi 12T Pro (test) ont des fiches techniques factuellement plus puissantes.
Mais est-ce qu'on ne devrait pas s'en tamponner allègrement les chouquettes du pinceau de l'indifférence? Il y a quelques mois, je vous aurais peut-être dit non. Mais je commence à changer d'avis.
Les technobsédés sont une minorité très bruyante, mais une minorité
Cette obsession des specs, c'est surtout un truc de technophile. Que ce soient les testeurs ou les utilisateurs, on a régulièrement tendance à oublier qu'on est dans une bulle. Et surtout, on a tendance à oublier qu'on est minoritaires.
Samsung, Xiaomi, Apple et consorts, leur chiffre d'affaires, ils ne le font pas avec les geeks qui comptent le nombre d'images par seconde qui défilent à l'écran lorsqu'ils ouvrent et ferment une application. Non, ils se font du fric avec les gens normaux, qui ne s'y connaissent pas forcément en tech.
"Ils sont peut-être minoritaires, mais ils sont très influents", me glisse alors Miquel Ballester. "Les utilisateurs lambda les écoutent et viennent leur demander conseil lorsqu'ils envisagent d'acheter un produit tech. Si on cherche un bon appareil photo et qu'on ne s'y connaît pas trop, on va demander à quelqu'un dans notre entourage qui s'y connaît mieux que nous."
Cette notion d'influence me rappelle une interview que j'avais faite avec le PDG de Realme, Madhav Sheth, en 2020. Lui aussi considérait que chaque foyer d'utilisateurs potentiels avait son "influenceur". Quelqu'un qui est familier avec les produits tech et influence les actes d'achat de son cercle social en leur donnant des conseils.
Mais combien de ces influenceurs s'intéressent réellement à la durabilité? Et combien considèrent ce critère comme étant déterminant dans l'acte d'achat d'un produit tech, aux détriments du rapport qualité/prix? Très peu, selon moi.
Les fabricants devraient moins écouter les technophiles
Mais cette influence, les technophiles l'ont aussi sur les fabricants. Quand une fonctionnalité ou un choix de design/composants ne leur plaît pas, les technophiles le font savoir très audiblement et les fabricants sont souvent à l'écoute, par peur de trop contrarier leur fanbase.
Le problème, ce n'est pas que les fabricants écoutent les technophiles. C'est selon moi une bonne façon d'impliquer les utilisateurs et utilisatrices dans le développement des produits dont ils sont de toute façon la cible. Non, le problème, c'est qu'ils les écoutent trop.
Quand je m'écoute parler pendant vingt minutes d'affilée des similitudes entre le SoC Snapdragon 778 et le QCM6490 du Fairphone 5 avec mon collègue Rubens, je me demande qui ça intéresse réellement?
Mes préoccupations, ma manière d'envisager un produit tech, sont en décalage avec les attentes et besoins d'un utilisateur lambda, profane. Et je pense que si on demandait à cet utilisateur ou une utilisatrice totalement profane, je suis persuadé qu'il ou elle ne trouverait pas le Fairphone 5 aussi limité que ça et que nos débats technocentrés sont ridicules.
Je pense que si les fabricants se détachaient un peu de leur peur de contrarier leurs fans hardcore, ils s'apercevraient que la grande majorité de leurs clients s'en tape totalement d'avoir un taux de rafraîchissement de 120 Hz.
"Historiquement, sur le marché de la tech, tout est une question de specs et on enchaîne les courses à telle ou telle technologie. Mais les entreprises ont un gros rôle à jouer pour éduquer les gens sur la tech. Elles pourraient parler davantage de durabilité et en faire un point beaucoup plus important dans leurs stratégies", explique le responsable de Fairphone.
Personne n'utilise son smartphone à son plein potentiel de toute façon
"Si, moi!" Allez les spécialistes de la contradiction, ce moment est à vous. Faites-vous plaisir dans les commentaires pour me donner tort, c'est maintenant ou jamais.
Bon, vos pulsions rhétoriques enfin évacuées, reprenons. Imaginez qu'on ait le moyen de suivre et de mesurer avec précision pendant une semaine tous les usages qu'on fait de notre smartphone. Je ne parle pas de simplement regarder l'utilitaire de batterie ni le temps d'écran pour voir combien de temps on a gardé une application ouverte.
Non, je veux dire mesurer combien de RAM j'ai utilisé lors de ma session de Call of Duty Mobile. Ou combien de photos avec un zoom x100 j'ai prises. Combien de vidéos en 4K à 60 FPS est-ce que j'ai tournées. Sur quel niveau de luminosité et quel taux de rafraîchissement mon smartphone était réglé.
Si j'avais un moyen de mesurer tout ça et de le quantifier, je suis à peu près certain que je n'aurai pas exploité plus de 50% du potentiel de mon smartphone permis par sa fiche technique.
- Dans cet article, j'explique pourquoi les smartphones gaming sont inutilement surpuissants
Ma sœur, qui n'est pas technophile, a un iPhone 14 Pro. Et je sais pertinemment qu'elle s'en sert essentiellement pour les appels et messages, ignorer mes appels sur WhatsApp, chercher des mèmes de 2018 sur Instagram pour me les envoyer et chercher deux trois trucs sur Safari.
Je peux pousser le délire encore plus loin. Imaginez qu'on vous donne un smartphone au design neutre avec une belle finition. Impossible de savoir s'il est haut de gamme ou non. Impossible de savoir si c'est un iPhone, un Xiaomi ou un Samsung. Et on donne à ce smartphone la fiche technique du Fairphone 5..
Je suis persuadé que très peu de gens remarqueraient qu'ils et elles ont un smartphone "limité" entre les mains. Personnellement, je pense que je pourrais éventuellement remarquer le taux de rafraîchissement à 60 Hz au lieu de 120 Hz. Je tiquerai évidemment lorsqu'il me sera impossible de régler les graphismes de mes jeux au maximum.
Mais même si je le remarquais, je pense sincèrement que ça n'affecterait pas mon expérience utilisateur de façon trop notable.
Pousser l'acceptation des compromis dans ses retranchements
Plus je m'intéresse à la question de la durabilité dans la tech, plus je me demande comment un fabricant comme Fairphone peut réellement devenir mainstream.
Pour avoir un impact suffisamment conséquent sur le marché et nos habitudes de consommation, il faut une adoption massive de ce genre de produits. Mais comment convaincre des utilisateurs et utilisatrices qui ne sont pas prêts à faire la moindre concession technique sur leurs appareils, au profit de la durabilité?
Selon le représentant de Fairphone, les lignes sont en train de bouger. "Certaines personnes sont prêtes à faire un effort supplémentaire en faveur de la durabilité. D'autres s'en moquent et ne veulent faire aucun compromis. Ce qui compte, c'est le confort et la commodité."
"Mais il y a une énorme zone grise entre les deux. Beaucoup de gens voient ces sujets et n'en savent pas assez. Fairphone pourrait être un point d'entrée pour ces personnes et les initier à ces sujets. Ils et elles ont ainsi une vision plus large de ce qui se cache derrière la fabrication de leurs produits."
Et Miquel Ballester se fécilite que "nous avons évolué dans ce sens. Aujourd'hui, nous nous tournons vers un type de consommateur qui n'est pas prêt à faire des compromis, il veut un bon appareil photo. Et c'est ainsi que nous nous développons. On pousse petit à petit la limite des compromis que les gens sont prêts à accepter au profit de la durabilité, tout en faisant des efforts de notre côté pour proposer de meilleurs produits."
Un Fairphone 6 avec une fiche technique ultra haut de gamme, ce serait possible?
Est-ce qu'on pourrait imaginer un Fairphone avec un Snapdragon 8 Gen 3, par exemple? Techniquement, ce serait possible, mais...
Quand on parle de durabilité, on parle d'abord des processus de fabrication et des chaînes d'approvisionnement. Le positionnement de Fairphone sur ces sujets est très intéressant, mais je devrais m'y consacrer dans un article dédié.
La durabilité, c'est aussi et surtout celle de l'appareil en lui-même. La durabilité logicielle et la durabilité hardware. Le nombre de mises à jour Android, la qualité de fabrication et la disponibilité des pièces détachées.
Et c'est cette impérieuse durabilité qui fait que Fairphone ne peut pas, actuellement, utiliser des composants dernier-cri dans ses smartphones. Je l'ai expliqué dans un article complet avec Agnès Crepet, responsable longévité logicielle et informatique chez Fairphone.
Dans cet article, on apprend que le nombre maximal de mises à jour Android qu'un fabricant peut proposer dépend en très grande partie du fabricant du SoC. Plus le support est long, moins c'est rentable pour le fabricant de puces. Il faut donc se rabattre sur des SoC moins premium qui sont intégrés une grande quantité d'appareils.
- Consultez notre guide pour tout savoir des SoC haut de gamme
Mais imaginons que Qualcomm pète littéralement un câble. L'entreprise nomme un nouveau PDG ultra hardcore sur la question environnementale. Un écolo pur et dur qui décide que le Snapdragon 8 Gen 3 bénéficiera d'un support d'au moins 8 ans.
Est-ce que, dans ces conditions, Fairphone pourrait envisager de faire un smartphone plus premium? "Oui", commence par concéder Miquel Ballester non sans esquisser un sourire. "Mais on en vient alors au prix. On est une petite entreprise. On n'a pas les économies d'échelle des gros fabricants. On n'est pas plus chers parce qu'on est plus durables. La majorité de l'argent qu'on fait repart dans l'achat de composants."
"Aujourd'hui encore, avec le Fairphone 5, nous n'avons toujours pas accès à tous les composants que nous souhaitons. Nous ne pouvons pas être trop exotiques parce que nous n'avons pas le volume nécessaire", déplore Miquel Ballester.
Un smartphone durable et mainstream, est-ce incompatible?
On comprend bien que l'un des enjeux majeurs pour un fabricant comme Fairphone, c'est le volume. Il faut vendre plus de smartphones pour être plus attractif aux yeux des fournisseurs et donc obtenir de meilleurs composants pour fabriquer de meilleurs smartphones et ainsi vendre plus de smartphones, etc.
Ce cercle peut à la fois être vertueux et vicieux. Est-ce que sortir un smartphone tous les deux ans est vraiment durable, par exemple?
"Tout est une question d'équilibre. Il faut jouer le jeu, utiliser le business pour faire quelque-chose de bien tout en s'assurant que nos objectifs correspondent toujours à nos engagements."
"Pour l'instant, j'ai l'impression que nous avons trouvé le bon équilibre en termes de cycle de commercialisation. Nous sortons un téléphone tous les deux ans et nous avons trouvé que c'était le bon moment pour être pertinent sur le marché, avoir un moment médiatique où nous pouvons présenter de nouveaux produits, attirer l'attention des opérateurs réseau. On ne peut pas aller voir un opérateur de réseau avec une puce datant d'il y a trois ans."
Conclusion
Personnellement, je pense qu'on n'atteindra jamais l'équilibre parfait. Il y aura toujours des concessions techniques à faire si on veut un smartphone durable et éthique. Mais je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose.
Avec le Fairphone 5, par exemple, j'estime que l'expérience utilisateur est tout à fait au niveau de ce qu'on peut attendre d'un smartphone en 2023. Et j'ai réellement envie de me détacher de cette obsession de la fiche technique.
C'est sûrement plus facile à dire pour moi, qui n'achète pas les smartphones que j'utilise au quotidien. Ils me sont prêtés par les marques pour mes tests. Et l'envie d'en avoir pour son argent est un sentiment tout à fait légitime. Je ne juge personne.
J'estime simplement que le chantage aux performances, à la nouveauté, pratiqué par les fabricants est une stratégie toxique. De nombreux sondages en Europe montrent que les gens veulent utiliser leur smartphone plus longtemps. Lisez l'étude préparatoire à la directive européenne Ecodesgin. Vous verrez que la durabilité est un critère d'achat bien plus important que ce qu'on pourrait le croire dans notre petite bulle tech.
Même en dehors de toute considération éthique, je veux garder mon smartphone plus longtemps. Je veux que ses performances restent stables plus longtemps. Je veux pouvoir le réparer ou le faire réparer sans galère même après deux ans. Je veux recevoir des mises à jour pendant plus longtemps.
Et je suis de plus en plus enclin à "sacrifier" un certain confort que me confère l'illusion d'avoir un smartphone surpuissant entre les mains. Et vous?
Je suis assez d'accord avec l'article mais je trouve que les constructeurs ne l'ont pas toujours compris mais que parfois aussi ils n'ont pas le choix.
Je m'explique : moi ma priorité sur un smartphone, c'est la photo et l'autonomie, aussi la compacité. Imaginez donc la galère pour trouver un smartphone qui me convienne !
Malheureusement, les meilleurs photophones sont généralement, des hdg voir plus, des machines souvent surpuissantes alors que je n'utiliserais quasiment jamais toute cette puissance. (et en plus toujours trop grand lol). Mais ça a des avantages, un traitement des photos plus rapides, et souvent une meilleure autonomie.
Même si je ne suis pas un fan de la pomme, je ne peux pas leur enlever un point que j'apprécie chez eux : plutôt que de toujours chercher ce qu'il se fait de mieux en dernière techno, ils investissent énormément dans l'optimisation de leur produit et en général ça paie. Suivi de l'OS parmi les plus long, apn optimisé même quand ce ne sont pas les meilleurs capteurs, autonomie optimisé même avec des batteries plus petite, processeur maison, bref. Huawei était allé dans ce sens mais on connait la suite, dommage ils étaient vraiment en train de créer un vrai concurrent à Apple
À l’heure actuelle, quand on aime la photo, quand on aime prendre de son temps pour capturer un effet de lumière, un sourire, un rire, un doux moment à immortaliser, c'est loin du brouhaha de son smartphone que l'on va le trouver et dans le confort d’un appareil photo hybride, pas si cher et ouvert à ses goûts, ses couleurs et à sa créativité.
Les smartphones, on en a déjà parlé, n'ont toujours pas remplacé les appareils photo et c'est une très bonne chose en réalité.
https://www.nextpit.fr/smartphone-qualite-photo-appareil-numerique
Totalement d'accord, j'en possède un mais ça reste moins pratique à transporter ! ça reste moins efficace dans l'instant et ça on ne peut pas le retirer à nos smartphones donc autant en avoir un bon sur ce point là aussi !
Un Fairphone 5 à découvrir avec un indice de réparabilité de 9,3/10 en plus d’être complètement DéGooglisé chez Murena, ça fait plaisir !
https://www.nextpit.fr/forum/823163/murena-en-actualites-et-en-mises-a-jour#3480196
Il faut vraiment que je fasse mon test de /e/OS de Murena. J'ai tellement d'idées sur la durabilité mais tellement peu de temps de bosser dessus.
Je suis aussi en contact avec des gens de postmarket OS, un OS spécialement pensé pour des vieux tels dont le support officiel a expiré. Il va me falloir du temps, mais petit à petit mon dossier durabilité va se faire^^
On a besoin effectivement d’alternatives solides pour lutter contre l’obsolescence logicielle, le frein le plus injuste et le plus cruel à la durabilité